Merci, monsieur Grasset, de votre propos à la fois savant et stimulant.
Comment penser le rapport de la poétique des symboles et de l’expérience du sacré, vous demandez-vous en un court prologue, pour proposer de nous y essayer en référence aux deux champs historiques de la pensée païenne grecque antique et de la pensée chrétienne moderne chez Pascal.
Vous commencez par la référence antique, à la poésie de Pindare en l’occurrence, où l’on trouve une symbolique des éléments naturels traversant toutes ses odes (Ve siècle av. J.-C.) qui relie, et même rallie, le profane au sacré, de façon à fonder jusqu’à la cité elle-même. Cela se trouve comme repris par Hölderlin (le poète-philosophe apôtre de la Grèce) dans sa contemplation de la nature, qui se dévoile symboliquement comme sacrée – pour ce qui est de la lumière en particulier –, le poète chantant cette nature en la dévoilant comme habitat de l’homme, l’humain entrant ainsi en relation avec le divin. Cette expérience du sacré transcende ce qui relève de la raison et révèle la beauté de la nature. Heidegger, lecteur de Hölderlin, interprète cette alliance de la poétique des symboles et de l’expérience du sacré en identifiant la nature à l’Être, qui se situe au-delà des étants, le divin n’étant tel que d’être sacré, sacré qui est à la fois au-dessus des hommes et des dieux, et donc à retrouver en notre époque d’oubli de l’Être, le poète conjoignant alors le profane et le sacré. Mais, demandez-vous, cette lecture philosophique heideggerienne est-elle bien fidèle au verbe poétique ?
Puis vous en venez à la référence pascalienne, qui vous est chère, selon laquelle la nature et ses éléments proviennent eux-mêmes du feu de l’esprit en une symbolique biblique qui fait la synthèse de tous les genres ou espèces d’êtres que l’imagination inscrit dans un au-delà de la nature, dans le surnaturel cette fois, la pensée pascalienne s’inscrivant notamment dans la patristique. Chez le Pascal des Pensées (1670), par exemple, les symboles omniprésents (chemin, ténèbres et lumière, terre et ciel…) ne proviennent pas de la nature, mais de l’Écriture, de la rhétorique divine imitée, dont l’infini seul peut relier l’humain au divin, l’expérience s’étendant ici de la science à la religion (comme dans l’expérience spirituelle du Mémorial lors de la nuit du 23 au 24 novembre 1654), qui constitue le fil profond du projet apologétique reposant sur la faculté du sacré qu’est le cœur, selon la distinction pascalienne des trois “ ordres ”. Seul le langage poétique symbolique, précisez-vous, peut ainsi relier l’homme au sacré.
Vous passez alors du point de vue diachronique à un point de vue synchronique pour évoquer le langage symbolique comme relevant d’un verbe indirect et cachant, qui fait appel à notre imagination et non à la raison, à l’intuition et non à la démonstration, l’expérience concrète du sacré étant d’un autre “ ordre ” que l’expérience abstraite de la raison. Si « notre vie est lecture » comme l’écrivait G. Bachelard, lire l’univers c’est alors l’interpréter en s’inscrivant dans une tradition, le langage poétique étant le véritable habitat de l’homme alors relié au divin, de l’homme-poète qui sait ainsi se faire herméneute, l’herméneutique n’étant pas aussi différente du poétique que le dit P. Ricœur, insistez-vous.
Puis, en référence à R. Caillois cette fois, vous en venez à la signification existentielle de l’expérience du sacré, qui constitue un complément nécessaire à la science, en passant des ordres du corps et de l’esprit à l’ordre du cœur. C’est dans l’art que l’expérience du sacré se fait le plus humanisante, dites-vous, en référence au peintre G. Rouault notamment. Un tel langage fait la synthèse du sensible et de l’intelligible, de la nature chez les Grecs et de la surnature selon Pascal : la philosophie ne devrait-elle pas s’en inspirer pour penser elle aussi symboliquement, demandez-vous alors ?
Vous concluez en reprenant les trois grands moments de votre propos pour insister sur l’interpénétration de la poétique des symboles et de l’expérience du sacré dans l’humanisation même de l’homme, et cela selon une synthèse, que vous appelez de vos vœux, de l’hellénisme et du christianisme.
Joël Gaubert