Synthèse conférence A. Stanguennec

Conférence du 13 janvier 2023

André STANGUENNEC : De la réalité sensible à l’Idée métaphysique

Merci, André Stanguennec, de votre propos toujours aussi savant et réfléchissant à la fois, et donc stimulant.

Vous annoncez, d’emblée, les étapes de votre recherche – qui n’est pas figée en une doctrine, insistez-vous -, consacrée aux trois relations logiques que l’on peut concevoir quant aux rapports entre la réalité sensible et la réalité métaphysique : l’identité substantielle, la causalité linéaire et l’interaction circulaire, pour interroger, finalement, la nature de cette dernière, seule acceptable ici, dites-vous, dont vous évoquez alors qu’elle est seulement d’ordre anthropomorphique et analogique, mais pourtant tout à fait nécessaire à la réflexion philosophique.

Depuis notre naissance, commencez-vous, nous sommes précompris dans le monde sensible dont nous ne pouvons pas suspendre la croyance en nous en ce qu’il est comme le fond sur lequel se détachent les objets qui le composent et que nous pouvons, eux, mettre en doute, la foi en cette totalité immédiate indéfinie animant toute recherche philosophique, qui commence par la question fondamentale : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». La plupart des philosophes distinguent alors deux mondes hétérogènes : le monde matériel et le monde conceptuel, le sensible et l’intelligible, tout en tâchant de penser leurs rapports.

La catégorie de substance, opérant dans les substantialismes métaphysiques, tâche de subsumer ces deux modalités de l’Être sous une même réalité, Dieu, par excellence, comme chez Spinoza, mais la dualité y demeure irréductible, insistez-vous, entre les attributs de l’étendue et de la pensée. La catégorie de causalité linéaire qui propose, elle, de remonter de l’effet (sensible) à sa cause première (intelligible), comme dans les dualismes métaphysiques de Platon et de Leibniz considérant Dieu comme démiurge et architecte, peut être critiquée (par Kant notamment) comme relevant d’un anthropomorphisme grossier, la dualité première n’y étant pas dépassée.

Vous en venez donc à la troisième catégorie évoquée au début de votre propos : celle de la causalité circulaire, de l’interaction réciproque, qui est la plus logique et féconde, insistez-vous, car la cause qui s’y pose se limite elle-même en donnant quelque chose de soi à son effet, qui le reçoit et enrichit en retour sa propre cause. Cela se vérifie en nombre de domaines de la réalité, en science notamment, comme celui de la biologie cellulaire (des échanges entre le noyau et le cytoplasme), celui de la physique nucléaire (des rapports entre les particules élémentaires), mais aussi et surtout dans le domaine de la réalité humaine et donc des sciences de l’homme, comme chez Marcel Mauss, par excellence, selon l’interaction trilogique : donner, recevoir et rendre, qui structure les plus simples relations interindividuelles jusqu’aux institutions les plus complexes et complètes des sociétés, alors que cette catégorie relationnelle est tout à fait absente des grandes métaphysiques antiques et classiques, aussi bien dualistes (comme chez Platon et Leibniz) que monistes (comme chez Spinoza). Mais ce n’est là, insistez-vous, qu’une hypothèse réflexive, comme « le foyer imaginaire » selon Kant, qui permet de conférer à nos concepts à la fois leurs plus grandes extension et compréhension.

Vous engagez alors votre réflexion dans l’ordre du comprendre plutôt que dans celui du connaître, de la recherche de sens qui se distingue du savoir de la vérité, quant aux rapports de Dieu et du monde surtout, auxquels vous appliquez la trilogie du don, de la réception et du rendu, qui accomplit ainsi la relation dialectique entre l’infini (Dieu, ou plutôt son Idée, son sens pour l’homme) et le fini (le monde sensible). Le cercle métaphysique est ainsi fermé par la pensée sur le mode de l’Idée régulatrice unissant les deux mondes selon un rapport dynamique et ouvert, qui seul est acceptable en philosophie, posez-vous. Il en découle que la croyance dans le monde sensible (du point de départ de votre présente recherche) relève de la manifestation d’un monde métaphysique qui nous fait le don de soi, que nous en acceptons et lui rendons ainsi, ce qui à la fois conserve la dualité et pose l’identité ou l’unité plus complexe et complète de ces deux mondes, en un processus lui-même infini, comme chez Hegel, Dieu lui-même ne se réalisant que dans et par sa manifestation mondaine et son retour à soi.

Mais, demandez-vous alors, qu’elle est la valeur cognitive de ce modèle d’interaction dialectique dans le domaine métaphysique ? Il s’agit d’une analogie réfléchissante anthropomorphique, précisez-vous, ou d’un « foyer imaginaire » de la réflexion (comme chez Kant donc), tout se passant à la fois « comme si » et « au mieux ». Il faut donc opter non pas pour un anthropomorphisme dogmatique et grossier (comme dans la référence à un démiurge ou un architecte) mais pour un anthropomorphisme critique et auto-critique, qui relève d’une Idée régulatrice de la réflexion et non pas d’un concept absolu de la spéculation, contrairement à Hegel, surtout dans le domaine de la pensée théologique.

Vous concluez fermement que cette dialectique réflexive est le seul mode recevable de la pensée philosophique, la foi naïve et la foi réfléchie n’en faisant plus qu’une, en une synthèse du sensible et de l’intelligible qui « reprend » les contenus de sens des grandes formes culturelles précédant et accompagnant la philosophie, dont c’est le devoir que de synthétiser les croyances immédiates et la foi réfléchie, notamment dans une philosophie de la culture allant d’une phénoménologie mythologique jusqu’à la foi transcendantale d’une raison dont on ne peut faire qu’un usage régulateur et non pas constitutif, cette intégration dialectique progressive du mythe, de la religion et de la métaphysique, mais aussi de la science, ne pouvant que comprendre l’art aussi, qui joue un rôle spécifique fondamental dans cette synthèse in-finie.

Joël Gaubert