Résumé : Technique, éthique de la responsabilité et environnement chez Hans Jonas.

Merci M. Essono pour votre présentation de Hans Jonas (1903 – 1993), qui ne fut pas seulement un philosophe, méditant sur l’ambivalence du progrès technique en étant formé à partir de Husserl, Heidegger et Bultmann, mais, rappelez-vous, un volontaire (1940 – 1945) de l’armée britannique en lutte contre les nazis.

Dans un premier moment vous présentez la constitution du problème du progrès technique. Le prométhéisme déchaîné conduit à une interpellation nouvelle de l’idée de responsabilité humaine, en rupture avec la réflexion kantienne. Jonas thématise une « éthique future » c’est-à-dire une éthique d’aujourd’hui qui se soucie de l’avenir : un rapport entre existence et responsabilité, l’existence trouvant sa finalité et son sens en soi. Ce renversement de l’analyse kantienne qui refuse de dériver le devoir de l’être se manifeste à travers le renversement de la célèbre formule : au lieu du Tu dois donc tu peux ! qui désigne un pouvoir interne au sujet moral, H. Jonas dit que le pouvoir humain sur la nature définit « la dimension, la qualité et la charge du devoir. » Tu peux dévaster la terre donc tu dois t’en soucier !

Dans un second temps vous dégagez le sens des notions de progrès technique et d’éthique, à partir de la différence aristotélicienne entre le mouvement naturel et l’opération technique. L’arbre donne des fruits mais pour qu’il devienne planche il faut la techné, qui suppose un savoir-faire visant un but. Mais, suivant le concept moderne de la liberté, ce savoir-faire se dégage de son enracinement ontologique : la perfectibilité rousseauiste n’est pas le perfectionnement ou le progrès mais « une possibilité de progresser, et non une progression effective. » Or l’effet du développement des techniques modernes apporte certes des bienfaits (confort, santé, etc.) mais également la possibilité d’ « une régression affreuse », dites-vous. De sorte que l’humanité doit prendre conscience qu’elle n’a pas droit au suicide ! Dès lors vous introduisez le thème du développement durable, c’est-à-dire la « préservation de la vie diversifiée sur Terre. » La durabilité repose sur le rapport rationnel et passionnel que nous entretenons avec la vie, puisque, ainsi que l’enseignait Aristote, « peut-être y a-t-il une part de bonheur dans le seul fait de vivre » (Politiques, III, 6 – 1278-b25). L’impératif moral, dans le contexte technologique, devient donc : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » Cette exigence s’exposera lors du sommet de Rio (1992) – la prise de conscience mondiale étant préparée par Le Principe responsabilité (1971) et une conférence donnée par Jonas en 1985, et formulée dans le rapport Brundtland (1987).


Le souci individuel et collectif de la perpétuation indéfinie de l’humanité heurte ainsi la représentation libérale de l’éthique, dont le fondement est l’irréductible décision de l’individu dans une société centrée « sur la production et la consommation de masse ». Pour mettre en évidence la limite du modèle occidental Jonas présente une « heuristique de la peur » qui doit nous conduire à renoncer à « la technologie déferlante », à la promesse utopique d’une prospérité indéfinie et s’étendant à tous les peuples. Au contraire il faut concevoir la vie humaine sous l’angle d’une « évolution sans projet », où il ne s’agit plus, comme dans le « projet d’évolution », de mettre des moyens au service de fins, mais de centrer le regard sur l’existence même. Vous reprenez dans ce contexte le concept sartrien d’authenticité et vous insistez, avec Heidegger, sur le ‘se tenir dans l’éclaircie de l’Être’, c’est-à-dire être-dans-le-monde par l’ouverture à celui-ci, plutôt que dans l’appropriation et la transformation des étants par une subjectivité souveraine dissimulée dans le « on » inauthentique.


En conclusion vous notez que la nature vulnérable est, comme un enfant, l’objet de notre responsabilité, de sorte que nous sommes citoyens écologiques du monde, ce qui doit modifier nos manières d’être et faire.

Pierre Billouet