Résumé : Philosophie, environnement, technique

 Conférence SNP du 17 janvier 2020

Merci, André Stanguennec, pour votre propos toujours aussi érudit et réfléchissant à la fois.

Vous annoncez les grands moments de votre exposé : la construction d’un modèle théorique philosophique pour penser les rapports des hommes et de la nature, puis la confrontation de ce modèle aux éthiques de l’environnement et, pour finir, à l’état actuel de la technique humaine en référence au trans-humanisme.

D’emblée vous situez votre propos dans l’horizon d’une communauté éthique élargie à tous les êtres existant (et non seulement les hommes), ce que la référence à Kant (plutôt qu’à Hegel), dans Critique de la faculté de juger [1790] notamment, permet de penser selon une analogie entre l’instinct sensible animal et la vie de l’esprit humain, et cela en vue de constituer un modèle synthétique nécessitant la référence à Hegel, qui pense dialectiquement, lui, les rapports de l’universel et du particulier, notamment dans Principes de la philosophie du droit [1821] où il se démarque du nationalisme de certains penseurs romantiques en faisant la synthèse de l’universel étatique et de la particularité des nations.

En effet, si l’analogie kantienne permet de penser l’émergence de la culture humaine (de la communauté éthique) à partir de la nature, ainsi que ses effets de moralisation en retour sur nos rapports à la nature (dont nos devoirs envers les animaux), la dialectique hégélienne permet d’anticiper, elle, la théorie de « l’émergence transformationnelle » (selon P. Humphreys : Emergence. A philosophical account, 2016), ou diachronique (évolutive), de l’instinct animal à la conscience humaine, selon les trois moments de la continuité, de la rupture et de l’effet en retour, ce qui instaure une circularité de la communauté éthique et permet de dépasser l’alternative exclusive entre « moralité/Moralität » (Kant) et « éthicité/Sittlichkeit » (Hegel). Vous y insistez en référence à T. Regan (Le droit des animaux, 2004), qui met l’accent sur la continuité de l’animal à l’homme. Kant et les néo-kantiens, au contraire, insistent sur la rupture entre eux lorsqu’émerge la fonction symbolique, qui est le plus propre de l’homme et permet, notamment, la sublimation de l’instinct animal en pulsion humaine. Cela permet de se représenter de façon analogique/dialectique les rapports interhumains mais aussi les rapports des hommes à la nature en eux et à la nature hors d’eux, en s’opposant ainsi aux éthiques issues de la « deep ecology » (qui insistent sur la seule continuité animal-homme), tout en protégeant les droits des animaux des pratiques excessives de la technique humaine, violente à l’encontre de la nature mais aussi à l’encontre de la culture (les rapports interhumains).

Vous en venez, en un deuxième moment, à la confrontation de ce modèle analogique/dialectique avec les éthiques écologiques de l’environnement. Si c’est bien la décision pour la raison ou le choix des « maximes universalisables » (Kant) qui est le fondement premier de la morale, celle-ci doit tenir compte de la communauté vitale de l’homme et de l’animal, selon une synthèse de la naturalité (instinctuelle) et de la culturalité (symbolique), construction dialectique des rapports des hommes et des animaux, dites-vous en insistant sur la communauté vitale de l’homme et de l’animal (en référence notamment à J. Bentham, P. Singer et T. Regan). Mais cette dernière doit se transformer en communauté morale, typiquement rationnelle et raisonnable, élargissant ainsi la communauté éthique interhumaine en éthique écologique concernant les rapports entre les devoirs interhumains (directs et réciproques) et les droits animaux (indirects et non-réciproques). Les animaux ne sont pas des sujets, mais néanmoins des analogon des êtres humains, si l’on tient compte à la fois de leur communauté générique et de leur différence spécifique. Ces devoirs indirects à l’égard de la vie renforcent la sympathie, la compréhension, et même l’obligation de bienveillance à l’égard des hommes eux-mêmes, et contribuent ainsi à l’éducation morale des enfants. Comme la moralité concrétisée en éthique s’applique ainsi à l’égard des animaux, l’analogie réflexive est autorisée à la fois par l’identité générique de l’animal et de l’homme (celle de la vie sensori-motrice) et par la différence spécifique irréductible entre l’instinct animal et la raison humaine, qui relève elle-même de la fonction symbolique propre à l’homme.

Puis, en un troisième et dernier moment, vous passez à la confrontation de ce modèle analogique/dialectique avec la spécificité contemporaine des techniques humaines interprétée par ce qu’on nomme « trans-humanisme », lequel se présente comme une seconde « émergence », relevant d’une prospective relative à une nouvelle étape supposée de l’histoire humaine et non plus de l’émergence rétrospectivement considérée dans votre premier moment. S’impose ici la distinction entre un courant qui insiste sur la simple augmentation des pouvoirs techniques de l’homme, en maintenant une relative autonomie morale de celui-ci, et un courant radical prônant le couplage maximal de l’intelligence humaine et d’une robotique trans-humaine (comme y insiste L. Ferry, dans La révolution transhumaniste, 2016). Le présupposé humaniste de la référence kantienne/hégélienne à l’autonomie spirituelle est alors menacé. Ce que vous illustrez en référence à trois moments historiques : l’émergence du scientisme positiviste naturaliste du XIXe siècle, confiant la destinée humaine à la seule efficacité technique, qui fut contrebalancée par l’apparition, au début du XXe siècle, de nouvelles sciences humaines et sociales (dont la psychanalyse, l’herméneutique et la théorie critique) revalorisant l’humanisme comme exigence de sens ; puis l’humanisme, comme éthique de la subjectivité, fut à nouveau remis en question en référence à  » l’homme nouveau » des idéologies et des pratiques totalitaires du milieu du XXe siècle, aliénant la liberté individuelle à la totalité socio-politique ; enfin, un troisième moment anti-humaniste apparaît en ce début du XXIe siècle, le trans-humanisme, qui substitue à l’auto-nomie éthique l’auto-matisme technique, en devenant le modèle de la connaissance scientifique elle-même et de la « vie » de l’homme robotisé.

Vous concluez fermement sur l’importance de ce danger, qui doit alerter notre vigilance philosophique, décidément humaniste, pour résister à la prétention de l’autos mécanique de la robotique de se substituer à l’autos (le soi) éthique de l’esprit humain.

Joël Gaubert