Quelle morale pour quelle politique ?

Si la politique vise à l’institution du bien-vivre ensemble, comment pourrait-elle se passer de la référence morale à quelque Idée du Bien ? Mais une telle fondation de la politique sur une morale de la raison pure ne relève-t-elle pas d’une antique illusion métaphysique, à laquelle la modernité réaliste (car physique) oppose avantageusement l’instrumentalisation politique d’une éthique de l’entendement calculateur qui substitue l’utilité collective, voire individuelle, à une improbable Idée du Bien ? Cependant, la guerre de tous contre tous que semble redoubler l’utilitarisme dominant suscite aujourd’hui une politique de reconnaissance qui serait susceptible de pacifier les rapports des citoyens et des hommes. Or, une telle éthique du sentiment, sous prétexte de remoraliser et par là de réenchanter la politique, ne redouble-elle pas à son tour, et paradoxalement, la lutte de tous contre tous, sous la figure d’une politique compassionnelle soumise aux surenchères de revendications victimaires concurrentes ? Ne conviendrait-il pas, alors, de reconduire la politique comme la morale à l’exercice d’un jugement qui accorderait droit de cité à un sentiment (désir de reconnaissance) et à un entendement (besoin de puissance) qui ne prétendraient plus se substituer à la raison (volonté de connaissance), pour les réarticuler en vue d’une vie bonne avec autrui dans des institutions justes ?

Joël GAUBERT