Si le mythe est bien une façon archaïque de penser, mais aussi d’agir et donc de vivre, issue d’une imagination pour le moins fantasque et pour le pire maîtresse d’erreur et de fausseté en tant que « folle du logis », alors même qu’elle prétend révéler l’ordre naturel des choses et l’ordre culturel des hommes, à quoi bon l’étudier, c’est-à-dire en faire l’objet d’une recherche méthodique de la raison qui escompterait y trouver quelque dimension voire origine de la vérité et même fondement du bien en matière d’institution de la condition humaine dans le monde ? N’est-ce pas, d’ailleurs, en rupture d’avec le mythe (le mythos) et sa prétention naïve de dévoiler les choses les plus cachées du monde, que la raison (le logos) s’est instituée en Grèce antique et substituée à cette pensée imagée narrative, qui maintient l’existence des hommes dans l’illusion et dans l’hétéronomie à l’égard de la volonté des dieux, pour initier ainsi la plus grande révolution culturelle de l’humanité en faisant passer l’esprit humain du monde clos du mythe à l’univers infini de la pensée idéelle argumentative, à la recherche de la sagesse personnelle comme de la justice collective ?
Cependant, la raison ne témoignerait-elle pas ainsi de quelque violence théorique, mais aussi pratique, à l’encontre du mythe, en ignorant, voire méprisant, la capacité de celui-ci de procurer quelque satisfaction aux besoins et désirs les plus urgents car profonds de l’esprit humain en matière d’intelligibilité et de sécurité, en ce qu’il calme son angoisse existentielle en justifiant l’ordre mondain comme humain ? N’est-ce pas ce que révèle, précisément, une étude compréhensive du mythe, qui y découvre un sens constitutif de la condition symbolique de l’homme que la raison ne peut ni ne doit plus alors prétendre rejeter dans les oubliettes de la préhistoire de l’humanité, pour lui accorder, au contraire, droit de cité, notamment afin de contrer les folies dévastatrices d’une raison prétendant désormais rendre l’homme maître et possesseur du monde comme des autres et de lui-même ? À l’encontre de la prétention d’une raison moderne devenue positiviste, aussi bien en matière de pensée (scientifique) que d’action (technique et politique), d’éradiquer l’existence humaine de toute dimension mythique, ne deviendrait-il pas urgent non seulement de remythologiser mais aussi de remythiser la condition humaine, comme y appellent de plus en plus de voix actuellement afin de combattre un désenchantement du monde qui serait le fauteur de la multi-crise que subissent l’humanité comme le monde contemporains ?
On voit donc que, par-delà les finalités et modalités, et même la légitimité, de l’étude du mythe, ce qui est en jeu ici c’est la capacité théorique mais aussi pratique des hommes d’affronter la tension du mythos et du logos qui est au cœur de la condition humaine, que l’on peut espérer toujours plus éclairée et émancipée.