Qu’est-ce qu’une idée cinématographique ?
On sait que, dans Vertigo (1958), Hitchcock met en scène l’histoire fascinante de ce que Georges Rodenbach appelait, au sein de son roman Bruges-La-Morte (1892), le « pouvoir indéfinissable de la ressemblance » puisque les deux pseudo-personnages de Madeleine et de Judy font tomber le personnage masculin central (Scotty ) dans un piège dont il sort, à la fin, victorieux et brisé. Tout le film repose sur le double jeu consistant à reconnaître à chaque fois sous des habits différents la même femme, et à ne pas pouvoir distinguer deux personnages féminins différents quand ils s’habillent exactement de la même façon et qu’ils deviennent, alors, absolument identiques. Or, ce double jeu engendrant la méditation divertissante du film d’Hitchcock sur les vertiges du double, de l’apparence et du simulacre, n’est possible que grâce au fait spécifiquement cinématographique, et qu’aucun autre art ne saurait produire, que les deux personnages sont joués par la même actrice (Kim Novak).
C’est dans le sillage de cet exemple que la conférence tentera de penser ce qu’est une pensée cinématographique : non pas une pensée qui existerait avant sa manifestation filmique, non pas une technique qui réalise un concept donné à l’avance et qu’il faudrait retrouver, mais une pensée en cinéma c’est-à-dire une pensée-cinéma. Cette pensée-cinéma mue, comme dans tout art, par le devenir forme du fond et par le devenir fond de la forme, repose sur des possibilités exclusivement filmiques qui circonscrivent ce que Béla Balàzs nommait dès 1924 « l’esprit du cinéma ».
Pierre-Henry FRANGNE