L’éducation problématique du citoyen, synthèse

11 décembre 2015

 

Merci, Pierre Billouet, pour votre propos à la fois savant et stimulant.

Vous précisez, d’emblée, que l’éducation du citoyen ne devient effectivement problématique qu’avec les Modernes, c’est-à-dire quand la société est elle-même conçue comme artifice issu de la volonté des hommes, notamment du fait d’un contrat social.

Comme chez J.-J. Rouseau, insistez-vous en un premier moment, où, pourtant et paradoxalement, Du contrat social (1762), tout en définissant exemplairement l’autonomie comme « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite » (I 8), ne résout ni même ne pose le problème de l’éducation du citoyen, alors que L’Émile (1762), qui s’en préoccupe, est susceptible de plusieurs types de lecture (comme chez M. Raymond, V. Goldschmidt, M. Soëtard, A. Charrak, B. Bernardi et F. Imbert) qui divergent à propos des rapports de l’homme et du citoyen, de la vie privée et de la vie publique, de la morale et de la politique, ce dont vous concluez que Du contrat social et L’Émile ne font pas vraiment système dans la conscience rousseauiste (malgré son intuition profonde relative, à la fois, à la valeur de l’autonomie et à la nécessité de l’éducation du citoyen). Où donc, par exemple, demandez-vous, trouver le principe de l’obéissance du sujet à la loi qui serait susceptible de fonder l’autonomie du citoyen : dans un Dieu punisseur ou dans la conscience libre (ce qui ne trouve pas de réponse cohérente dans la pensée de Rousseau, dites-vous) ?

Cela vous en fait venir, en un second moment, à la référence kantienne, où l’on pourrait peut-être trouver une solution au problème de l’éducation du citoyen, non pas dans les écrits pédagogiques de E. Kant mais dans la Critique de la raison pratique (1788), qui fait aussi de l’autonomie le bien suprême et que vous mettez en rapport avec la théorisation du droit de l’enfant (dans la Doctrine du droit, 1797, § 28) – contrairement aux Anciens -, dans le but de chercher si l’enfant, qui est d’abord soumis à la loi, peut en devenir le législateur puis le co-législateur, ce que fait Kant en référence à la communication entre les élèves lorsque s’instaure une sorte de dialogue pratique. Mais, insistez-vous, les élèves ne font pas alors vraiment la loi car leur dialogue ne la thématise ni ne la problématise, et donc ne la juge ni ne l’établit réellement.

Vous concluez des résultats de votre recherche, en un troisième moment, que l’éducation du citoyen demeure problématique et chez Rousseau et chez Kant, l’élève selon Kant étant quand même entré dans le dialogue pratique, sans toutefois entrer dans la législation elle-même, c’est-à-dire dans la création de la loi. Vous évoquez alors la thèse républicaine, qui pourrait proposer ici une solution en posant que l’instruction scolaire, ou la formation de l’entendement, prépare les élèves non seulement à l’abstraction du citoyen (comme y insiste D. Schnapper, notamment, du fait de l’égalité des élèves) mais aussi à sa culture générale, en référence ici à P. Canivez, qui précise que le moment scolaire doit effectivement préparer à la politique mais sans pré-formater le citoyen. Cependant, vous vous demandez alors comment passer des connaissances théoriques de l’entendement au bon exercice pratique de la volonté, car si l’instruction est bien une condition nécessaire de la formation à l’autonomie elle n’en est pas une condition suffisante, surtout quand l’on conçoit l’autonomisation comme une tâche et non pas comme un donné, ainsi qu’en commettent l’erreur certains tenants contemporains des droits de l’enfant.

Vous terminez votre propos en référence à l’école française qui, tout en se pensant comme provenant du projet universaliste des Lumières (chez Condorcet surtout), en diversifie trop l’application (selon des structures institutionnelles et des niveaux d’instruction qui en diluent et donc en affectent l’intention politique), ce qui pourrait nécessiter quelque réforme, en référence, notamment et par exemple, à l’apprentissage du débat pratique à l’école primaire dans des conseils d’élèves (de type Freinet) pour ce qui est du règlement intérieur de la classe ou, encore, dans certains travaux de groupe structurés qui présentent aux lycéens l’occasion d’une co-législation en acte de leur pratique commune.

Joël Gaubert