Michel Malherbe : le soin à la personne – résumé

7 décembre 2018

 

Merci, Michel Malherbe, de votre propos à la fois médité et habité.

Vous commencez, dites-vous, par « quelques banalités » rappelant la condition de dépendance de tout individu vivant, notamment, ici, à l’égard des autres hommes, pour satisfaire à ses besoins de survie, ses désirs de confort et même de plaisir (voire de luxe), en précisant que les biens de confort sont aujourd’hui devenus des biens de nécessité (comme, par exemple, le matelas à air pulsé du grabataire).

Mais, demandez-vous de façon moins banale, le soin lui-même relève-t-il de la nécessité (comme le soin du corps) ou du confort (comme le soin de l’âme), le soin étant un acte (généreux ou bien simplement marchand) accompli par un homme (le soignant) en faveur d’un autre homme (le patient soigné) ; soin dont il faut alors se demander si ce dernier s’en approprie le pouvoir (tout soin renfermant l’exercice d’un pouvoir) ou bien s’il s’y soumet de lui-même. Mais l’agent soignant est-il bien l’auteur du soin, alors que c’est le patient, le destinataire du soin, qui en pose la fin(recouvrer la santé), l’agent n’en étant alors que l’acteur, qui en choisit le moyen, le véritable auteur en étant, donc, le patient lui-même puisqu’il autorise l’agent à accomplir l’acte de soin en son nom, ce qui pose la question de savoir – évoquez-vous – si l’on peut réellement vouloir la volonté d’un autre. Le responsable de l’action est donc ici le patient lui-même, ce qui fait difficulté pour ce qui est, notamment, de la « fiche d’autorisation » ou de simple consentement au soin que l’on demande aujourd’hui de signer à un patient qui n’est pas toujours en situation d’en décider lui-même (sachant aussi que le soin comporte une exigence de résultat et donc d’évaluation), alors que la « fiche d’information », elle, ne fait pas problème en elle-même.

 En un second temps, vous en venez au cas particulier de la maladie d’Alzheimer (que vous connaissez d’expérience familiale), qui est aujourd’hui incurable et fait donc que le soin ne peut être que palliatif et non pas curatif, alors même qu’il est adressé à une personne qui en souffre de manière constante et entière. Un tel soin n’est donc plus de nécessité mais de confort, à strictement parler, face à une maladie du corps (neuro-dégénérative) dont les symptômes essentiels sont mentaux, alors que les autres soins sont habituellement, eux, ciblés sur tel ou tel organe ou fonction. Le soin alzheimer n’a ainsi rien de spécifique (la musico-thérapie, par exemple), et il devient de plus en plus ordinaire à mesure que la maladie évolue (par exemple, la promenade qui n’a pour fin que de prévenir ou d’empêcher une fugue). L’établissement de soins n’est donc pas ici plus spécifique qu’un simple lieu de vie, sans service de soins intensifs notamment, le soin de confort étant alors moralement inspiré plutôt que médicalement nécessité (comme dans le cas des deux ou trois mots adressés à un patient qui ne peut pas même les percevoir), les biens offerts ou les soins effectués étant alors de pure humanité.

 En un troisième moment, vous vous proposez de distinguer le soin à la personne du soin de la personne, en repartant de la situation de dépendance habituelle (évoquée au début de votre propos), qui permet aux êtres moraux que nous sommes de mener une vie personnelle autonome, comme dans le cas du besoin de se déplacer de façon indépendante (jusque dans l’exemple d’une personne à mobilité réduite pour qui l’on a aménagé un dispositif adéquat). Mais dans le contexte de la maladie, le soin est une assistance à l’autonomie de l’autre, un soin à la personne et non pas au handicap, et ce soin visant à assurer l’autonomie peut lui-même porter atteinte à cette autonomie, l’agent soignant pouvant, néanmoins, se justifier de n’en être que l’acteur et non pas l’auteur. Mais vous évoquez le cas de la signature contractée de la « fiche d’admission » en maison de soins par un tiers (vous-même en l’occurrence, à la place de votre épouse), ce qui signifie que vous la pensez incapable d’autonomie, vous faisant par là l’auteur, et non pas seulement l’acteur, d’un tel soin à la personne, qui devient ainsi un soin de la personne, ce qui peut se justifier pour ce qui est de l’hébergement mais pas pour ce qui concerne le traitement du handicap, ce qui signifie, donc, que vous prenez le contrôle de sa vie, commettant ainsi une faute, la faute morale par excellence, insistez-vous (comme lorsque vous cachez les clés de la voiture familiale).

 Puis, en un quatrième temps, vous proposez de distinguer trois stades dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Dans un premier temps, le soin est d’accompagnement d’une personne que l’on estime encore capable d’autonomie (ce qui suppose la complaisance de la vie commune). Mais alors que tout être vivant se rapporte à lui-même, veille, donc, sur soi, c’est cela qui se perd, précisément, dans le deuxième stade de cette maladie, le soin d’accompagnement devenant alors une prise de contrôle du malade, le soin à la personne devenant, lui, un soin de la personne. Ce qui devient une charge écrasante, surtout dans le troisième stade, lorsque l’identité personnelle du malade devient elle-même indécise et même indécidable, le soin existentiel devenant alors un soin ontologique exigeant une reconnaissance qui, paradoxalement, ne peut pourtant pas ici être réciproque et encore moins égale.

 Vous concluez par un exemple d’un tel soin de reconnaissance de la part d’un agent soignant partant simplement en congé et qui adresse un au revoir définitif à votre épouse, ce qui vous semble être, en la circonstance et réflexion faite, le seul acte de véritable humanité.

Joël Gaubert