Conférence du 14 octobre 2022, Joël GAUBERT
Présentation
Si l’on entend communément par « la raison » la faculté subjective la plus propre de l’esprit humain de rechercher la vérité et le bien, voire le beau, de façon méthodique en déterminant son objet selon des règles universelles et nécessaires, cette raison subjective ne provient-elle pas elle-même d’une raison objective, qui constitue « le réel » entendu comme structure de l’Être ou encore « ordre ou raison des choses » qui existent effectivement ? Ne peut-on pas alors penser que la raison règle le réel en s’y appliquant et même qu’elle le précède voire le produit, comme le soutient le rationalisme métaphysique antique et classique, qui fonde le double projet de la sagesse (personnelle) et de la justice (collective) sur une telle détermination du réel effectif par une raison objective et substantielle ?
Cependant, cette prétention de la raison de constituer le sujet absolu du réel effectif ou du monde (naturel et culturel) ne relève-t-elle pas d’une illusion, pour le moins inopérante en ce que les catégories et règles que la raison projette ainsi sur et dans le réel (en « prenant ses raisons pour la réalité ») lui seraient incommensurables et donc ne lui permettraient aucune prise sur ce même réel, ainsi que le lui objecte le scepticisme ancien comme moderne ? Illusion pour le plus dangereuse, même, en ce qu’elle soumettrait ainsi le monde et les hommes eux-mêmes à l’emprise violente d’une raison qui n’en ferait qu’à sa tête, selon la logique folle de son Idée (ou idéo-logie), comme en témoigne le « constructivisme » d’un rationalisme physique et/ou historique aujourd’hui devenu intégralement réaliste, alimentant ainsi le nihilisme que la raison prétend pourtant combattre ! Plus encore : ne serait-ce pas le réel qui précéderait et réglerait une raison purement subjective et fonctionnelle qui n’en serait qu’une émanation ou expression accidentelle, particulière et contingente comme telle, réel qui excéderait alors la raison de toute part, ce qui devrait donc faire revenir celle-ci à plus de lucidité et d’humilité à propos de ses propres capacités et de leurs indépassables limites, voire de leurs coupables pathologies, comme entendent le mettre définitivement en évidence les critiques contemporaines, plus ou moins totales et radicales, de la raison ?
Le mouvement de notre propos consistera donc ici en la reconstruction et la confrontation de différents types de raison et donc des différents types de réel qui leur correspondent, avec pour horizon la question capitale de savoir si cette diversité peut être subsumée sous une quelconque unité (qui justifierait les articles définis de notre intitulé : « la » raison et « le » réel), ou témoigne, bien plutôt, d’une irréductible et donc désespérante multiplicité destinalement conflictuelle, et cela eu égard à ce qui est ici en jeu, par-delà la détermination encyclopédique et architectonique des rapports de la raison et du réel : la façon dont l’homme peut concevoir et doit pratiquer ces rapports pour accomplir au mieux son humanité (singulière, particulière et générique), dans un souci de lucidité et de responsabilité à l’égard du réel ou encore du monde lui-même (naturel et culturel).
Joël Gaubert