La lucidité de Sartre vise la condition humaine dans sa totalité : le fait de l’existence, la lourde nécessité du rapport à autrui, le fait incontournable de l’engagement et de la création de valeur… Le philosophe fait « redescendre » la liberté au plus bas degré de l’intentionnalité humaine (l’émotion, l’image, la sexualité, le désir, etc.). Il est important d’illustrer cette exceptionnelle lucidité (I), afin de saisir ce que cette non complaisance absolue engendre en termes d’exigences morales, de responsabilité (II) (De L’être et le néant à Vérité et Existence, aux Cahiers pour une Morale).
Si la question morale semble se déduire d’une conception de la réalité humaine comme ontologiquement libre, le problème politique va exiger du philosophe de concevoir le pouvoir, le contrat, l’état, l’histoire… Où se situe la liberté authentique, comment concilier l’exigence morale et le compromis nécessaire à la démocratie que Sartre aurait voulu « totale » ? La compréhension sartrienne de ce qu’un individu fait de lui-même, dans l’Histoire (comme Flaubert) et par son œuvre, suppose une théorie de la liberté riche, féconde, inachevée. La lucidité existentielle et l’exigence morale peuvent-elles suffire à être sinon juste, au moins pertinent sur le terrain politique ? (III).
André GUIGOT