la question morale et politique dans la pensée de Sartre – synthèse

André GUIGOT, 27 février 2009

Merci, André Guigot, pour votre propos à la fois calmement et fermement méditatif.

Vous commencez par l’héritage phénoménologique de la pensée sartrienne, la référence à Husserl permettant d’en interpréter le devenir ou le passage entre différents moments, notamment entre le premier Sartre (phénoménologue, donc) et le second Sartre, passant, après-guerre, de l’ontologie à l’histoire. Le premier Sartre propose notamment une « reprise » de la notion d’émotion en référence à celle de liberté, la colère ou encore la peur, la joie ou la tristesse, exprimant des choix de soi fondamentaux, tout comme l’image, qui, bien loin d’être le simple reflet passif d’un objet, est un acte de la conscience dans son pouvoir de négation ou de néantisation du réel visant à lui opposer un autre monde possible, ce qui relève déjà d’une quasi-morale de l’engagement et de la responsabilité.

Puis, vous en venez au moment ontologique de la pensée sartrienne, qui découle de ce premier moment phénoménologique, insistez-vous, puisque le privilège alors accordé au néant relève précisément de ce même pouvoir de néantisation en quoi consiste la liberté, ce dont les Cahiers pour une morale tirent les conséquences proprement éthiques mais aussi historiques, comme si Sartre se précédait constamment lui-même dans l’enchaînement des différentes périodes de sa pensée. En effet, la critique ontologique de l’essentialisme, ou du naturalisme, anticipe la critique politique de l’aliénation dont témoigne le racisme, certes, mais aussi le féminisme, par exemple ; tout comme une référence radicale à l’authenticité comme valeur absolue peut reconduire au gros esprit de sérieux que l’on prétend pourtant ainsi critiquer.

Vous en venez, alors, au troisième grand moment de la pensée sartrienne, le moment historique, puisque dans la Critique de la raison dialectique la rareté (qui conduit à la violence) est pensée comme l’analogue collectif du néant individuel, et l’analyse de notre type de société (capitaliste) comme produisant des êtres considérés comme « excédentaires » y annonce les critiques les plus actuelles du chômage, par exemple, et, plus largement, de ce que l’on a pu appeler, depuis, « l’horreur économique ». Vous insistez alors sur l’anti-juridisme de Sartre, qui rejette l’institution politique dans ce qu’elle a de réifiant, pour opposer le serment qui engage au contrat qui fige.

Vous concluez, fermement, sur le potentiel de résistance que constitue la pensée de Sartre aujourd’hui même (notamment à l’égard du nouvel « horizon indépassable de notre temps » que prétend représenter le néo-libéralisme), l’essentiel de son œuvre étant marqué par une exigence morale qui n’est pas si éloignée, au fond, de l’humanisme personnaliste, auquel on l’a parfois opposée.

Joël GAUBERT