la philosophie doit-elle se soucier de la sensibilité ?

 

Si la sensibilité fait dépendre l’homme des impressions (sensations et perceptions) mais aussi des émotions (désirs, sentiments et passions) qu’il reçoit du monde et des autres hommes, il semble bien qu’elle puisse constituer une puissance d’erreur et d’errance que la philosophie, en tant qu’exercice réfléchi de la raison à la recherche de la vérité et du bien, doit révoquer en doute, pour le moins, et combattre rigoureusement, pour le plus. L’émancipation de l’homme à l’égard de l’emprise de la sensibilité ne représente-t-elle pas la voie royale de l’accès à la vie bonne, à laquelle appelle le projet de la sagesse qui caractérise la tradition philosophique depuis sa fondation grecque ?

Cependant, n’est-ce pas là méconnaître, et surtout violenter, le plus propre de la condition de l’homme comme être au monde et avec autrui, dont la sensibilité semble bien représenter la faculté première (originaire et peut-être fondamentale) d’être ouvert à l’autre (objet du monde ou sujet d’un monde commun) et d’agir en conséquence pour se constituer et se faire reconnaître comme être-soi ? Cela ne ferait-il pas à la philosophie l’obligation de se soucier de la sensibilité, c’est-à-dire non seulement d’en prendre acte de fait mais aussi et surtout d’en prendre soin de droit, lui donnant ainsi l’occasion de se réconcilier, enfin, avec un sens commun demandeur de bien-être partagé ? D’ailleurs, la philosophie ne semble-t-elle pas s’en inquiéter dorénavant dans nombre de ses figures contemporaines, qui revendiquent une « vie authentique » accompagnée d’une « philosophie facile », désormais débarrassée des abstractions desséchantes de l’ancienne métaphysique ?

On voit donc que dans la recherche de l’attitude que la philosophie peut et doit adopter à l’égard de la sensibilité, ce qui est en jeu c’est la capacité de l’homme de s’accomplir au mieux comme être à la fois sensible et raisonnable.

Joël GAUBERT