la Chine peut-elle être populaire ? – synthèse

 

Roland DEPIERRE, 19 mars 2010

Merci, Roland Depierre, pour votre propos à la fois instructif et stimulant.

Vous commencez par nous rappeler la réputation pour le moins ambiguë de la Chine quant à sa place dans l’histoire universelle, notamment contemporaine et en ce qui concerne ce que nous appelons « démocratie », ce pourquoi vous préférez ici le qualificatif de « populaire » à celui de « démocratique ».

Puis, vous entamez une enquête historique à propos de la compréhension de la Chine par l’Occident (dont les Jésuites), qui se trompa notamment au sujet de la notion de « pouvoir » (à entendre comme mise en ordre du monde et non pas comme simple commandement des hommes), pouvoir dont l’indépendance à l’égard d’une transcendance religieuse à l’occidentale facilita la laïcisation de la Chine moderne, bien que l’on puisse légitimement s’interroger sur la sécularisation de la société chinoise, la souveraineté elle-même ne consistant pas à contenir la violence des individus par la loi mais à réguler les rapports entre des institutions rituelles. La Chine devint ainsi l’objet d’un véritable débat philosophique, tantôt la félicitant d’être un type de gouvernement quasi philosophique et tantôt la fustigeant d’être un gouvernement despotique, Montesquieu lui-même hésitant entre ces deux caractérisations.

Vous passez, ensuite, de ce point de vue historique au point de vue théorique de la sinologie, en référence au débat entre François Jullien et Jean-François Billeter, le premier insistant sur la singularité de la pensée chinoise lettrée alors que le second n’y voit qu’une pensée captive justifiant idéologiquement un despotisme sans alternative contenant l’esprit chinois en-deça de l’horizon de la politeïa. Ce faisant, Jean-François Billeter appelle à comparer les pensées chinoise et occidentale en référence aux exigences rationalistes et personnalistes, bien plutôt que de servir de caution intellectuelle à un despotisme post-totalitaire, alors que François Jullien dénonce, lui, cette lecture unitaire, réductrice, comme méconnaissant l’essence et la valeur de l’altérité chinoise, qui nécessite une véritable traduction pour être bien comprise par la pensée occidentale.

François Jullien insiste ainsi sur la relativité de la conception occidentale des droits de l’homme comme individu indépendant, ce qui empêche de saisir le sentiment chinois d’appartenance de l’homme au tout cosmique, tout comme la conception occidentale de la démocratie en tant que mode de gouvernement délibératif des hommes selon la liberté et l’égalité des citoyens rend incompréhensible ce que la pensée chinoise peut entendre par « pouvoir du peuple ». Le pouvoir impérial lui-même, bien loin d’être tout uniment despotique, ne manque pas de quelque dimension populaire, notamment du fait que la critique à l’égard du pouvoir s’y exerce, bien qu’elle y demeure organique, l’empereur étant même responsable devant le peuple dont le souci justifie le pouvoir, ce qui fait, concluez-vous, que l’empire chinois se situerait, finalement, dans un horizon républicain.

Joël GAUBERT