Jean-Marie Lardic, Normes et pratiques de l’éthique clinique | résumé

17 mai 2019

Merci, Jean-Marie Lardic, de votre propos à la fois savant et vivant.

D’emblée vous marquez la commune insistance sur l’autre qui est au cœur de l’éthique comme de la médecine, rapport à l’autre qui ouvre le questionnement relatif au consentement de cet autre et même à sa priorité puisque c’est de son autonomie qu’il s’agit dans la relation à la fois éthique et médicale. Il ne s’agit donc pas ici d’ « appliquer » à la médecine une éthique qui la précéderait et la commanderait en s’autorisant d’un savoir certain quant à la distinction du Bien et du Mal, mais bien de recourir à une pratique médicale concrète, qui soit en prise avec la distinction du discours et de la violence, à condition de ne pas disqualifier l’instance même du discours, insistez-vous en une référence centrale à l’éthique de la discussion de J. Habermas.

Mais de quel discours peut-il s’agir ici, demandez-vous alors ? Il s’agit de substituer à une instance discursive métaphysique dogmatique une instance discursive dialogique pragmatique dont les normes et leurs conséquences puissent satisfaire les intérêts et les aspirations de tous et de chacun, patients soignés comme agents soignants, l’universalisation intersubjective en acte se substituant ainsi à l’universel ontologique surplombant de la tradition métaphysique. Cette éthique doit donc être « concrète », « située » ou encore « contextualisée », plutôt que d’être « appliquée » à partir d’un lieu autre, et cela jusque dans ses rapports à la contemporanéité notamment, comme J. Habermas mais aussi A. Honneth en témoignent puissamment.

Il s’agit donc ici pour le philosophe de parler en médecine et non pas sur la médecine et avec des représentants d’autres disciplines, pour traiter du tout de l’homme, ce qui relève, précisément, d’une éthique clinique. Ce pour quoi Nantes constitue un pôle idéal, précisez-vous, à la fois pour ce qui est des Lettres et sciences humaines et des Sciences et de la médecine, comme pour le Gérontopôle notamment mais aussi le projet « One Health : un monde, une seule santé homme/animal », tout comme d’une Consultation d’Éthique Clinique du CHU, maintenant renommée. Cela nécessite, tout particulièrement pour le philosophe, de tenir un discours sur le terrain même des services médicaux, ce qui fait l’objet d’une saisine dont s’ensuit un compte rendu en provenance et à l’adresse de tous les personnels engagés dans le même soin, véritable discussion de laquelle doit émaner un avis partagé circonstancié. Cette méthodologie pratique, et même pragmatique, doit être soucieuse d’œuvrer à l’établissement d’un langage commun, notamment quant aux « principes » d’autonomie, de bienfaisance, de non-malfaisance et de justice.

Vous proposez alors quelques exemples témoignant, précisément, du caractère pragmatique (et non pas spéculatif) des « principes » en question ici. Le premier cas est celui d’une patiente devant bénéficier d’une prothèse de hanche mais qui refuse l’intervention chirurgicale, ce qui pose le problème du rapport entre la bienfaisance du soin et l’autonomie de la patiente. Le deuxième cas est celui d’un enfant souffrant d’encéphalopathie et qui doit être périodiquement ré-intubé ou réanimé, ce qui pose le problème de la bienfaisance du soin et même de son maintien, le père estimant que la volonté d’Allah lui interdit de concéder l’acheminement vers un arrêt de traitement, même s’il dit ne pas souhaiter d’acharnement thérapeutique, ce qui nécessite du groupe et de l’équipe soignante le recours à une pratique du « tiers inclus », pour faire comprendre au parent qu’on ne le laisse pas seul face à cette décision, dans une discussion continue et approfondie pour une perspective de fin de vie néanmoins. Un autre cas est celui d’un patient de trente-huit ans dont la pathologie nécessite une chimiothérapie mais qui n’accepte que certains soins d’ordre psychiatrique, qui ne sont pas propres à soigner son mal : la consultation décide alors, de façon créative, de soins palliatifs mobiles et de traitements certes non pas curatifs mais antalgiques.

Ce qui importe dans chacun de ces cas, ce n’est pas tant de prendre une décision finale ou d’apporter une solution définitive que de se confronter à la singularité et la complexité de chacun d’eux en élaborant des argumentaires recevables quant aux enjeux fondamentaux du soin le plus adéquat possible. Cela vous fait préciser, de façon insistante, le statut des normes en question dans une telle éthique clinique, qui est d’être situé entre l’universalité théorique et objective des lois morales et la singularité empirique et subjective des maximes d’action, de manière à permettre l’accord entre les maximes de tous les sujets participant au même soin (notamment en référence aux thèses de R. Bubner), les normes relevant ainsi de la particularité qui émane de l’intersubjectivité en acte des soignants, alors appelés par le patient lui-même à un perpétuel dialogue ayant en vue d’œuvrer au rétablissement de sa santé.

Vous concluez fermement que cette éthique clinique n’a pas vocation à être « normante » mais bien plutôt de permettre à la vie de continuer dans des conditions optimales pour ce qui est de l’autonomie des personnes souffrantes, autonomie à toujours accompagner, susciter et même re-susciter, dans la gravité d’un contexte tragiquement tendu entre la vie et la mort.

Joël Gaubert