Heidegger : de l’être dans le monde à l’être au monde – synthèse

Pascal DAVID, 11 mars 2011

 

Merci, Monsieur David, pour votre propos méditant non dénué d’humour et qui donne, donc, à penser.

D’emblée, vous vous référez à la philosophie entendue comme « sagesse du monde » en vue de penser la mondanéité (ou phénomène du monde) que la philosophie aurait elle-même paradoxalement manquée, l’être-au-monde se distinguant de l’être-dans-le-monde, différence que Heidegger saisit précisément dans Être et Temps. La question posée n’y est plus alors : « Qu’est-ce que l’homme ? », mais « Qui est l’être humain ? », déplacement gros de conséquence en ce qu’il permet de passer du concept cosmologique au concept phénoménologique de monde, puisque le Dasein n’est pas un ob-jet dans le monde mais l’étant qui ouvre le monde, l’espace comme le temps, ce que manquent les différentes déterminations courantes du mot « monde » en réduisant l’entièreté à la totalité.

Vous insistez, alors, sur le double sens constitutif du mot « cosmos », qui désigne tout à la fois l’ordre et la beauté, ce qui s’entend encore dans le couple sémantique français « monde/im-monde », ainsi que dans les variations langagières du mot « uni-vers », comme dans celles d’« uni-versité », qui fait l’unité de la diversité aussi bien ontologiquement qu’esthétiquement. Vous en retenez que le monde semble s’appréhender ou faire l’objet d’une appréhension synthétique de la représentation d’un sujet, ce que Heidegger appelle « métaphysique de la subjectivité » (de Leibniz à Kant et Fichte), à laquelle il oppose (avec Husserl, d’ailleurs) l’accès phénoménologique du Dasein au monde. Chez Kant notamment, en effet, le concept de monde fait partie de la cosmologie (à côté de la théologie et de la psychologie, tripartition que l’on peut déjà trouver dans les Méditations de Descartes), ce qui fait précisément manquer le monde dans lequel vit tout un chacun, le monde de la vie n’étant pas celui de la science, ce que signifie fermement la fameuse assertion de Husserl : « La terre ne se meut pas ». Selon son concept phénoménologique, le monde est ce au sein de quoi je déploie mon être, qui n’est pas une infime partie d’un vaste contenant, être au monde étant autre chose qu’être dans le monde, comme on peut l’entendre en français dans l’être comme « disponibilité », voire « à prédisposition », l’homme étant comme de mèche ou de connivence avec le monde, l’autodonation des choses rencontrant la donation de sens de l’homme, comme l’entend Sartre lorsqu’il dit que « si l’on aime une femme, c’est qu’elle est aimable. »

Vous concluez fortement que le monde n’est pas un « quoi » (un contenant qui nous contiendrait) mais un « comment » les choses nous apparaissent, ou encore un « existential », une structure de l’être même du Dasein qui a à être qui il est, ce qui peut se porter comme un fardeau : comme le dit Gérard de Nerval, « le monde amonde », se fait monde. Pour éviter le devenir-monde de l’immonde de l’actuelle mondialisation, ne faudrait-il pas alors habiter le monde plutôt que de prétendre le dominer ?

Joël GAUBERT