05 février 2016
Merci, monsieur Prairat, pour votre propos très clair et donc éclairant.
Vous présentez d’emblée cinq remarques préliminaires :
La première tient à distinguer, avec Michel Foucault notamment, l’autorité et le pouvoir, l’obéissance et la contrainte. La deuxième pose qu’il n’y a pas d’éducation sans autorité et qu’éduquer c’est autoriser à grandir, grandir consistant à se savoir autorisé. La troisième insiste sur l’idée que ce sont les savoirs et savoir-faire des hommes, en tout genre, qui fondent l’autorité de celui qui enseigne : c’est parce qu’il y a l’autorité d’un monde symbolique qu’il faut éduquer en ouvrant doucement la porte de ce monde, qui représente la référence idéale, la nécessaire tiercéité de la relation de l’éducateur et de l’éduqué. La quatrième remarque affirme que la relation d’autorité n’est en aucun cas manipulation ou coercition, ou même séduction : c’est une action visant à en susciter une autre chez l’éduqué, qui requiert d’être reconnue par celui-ci, et qu’elle est temporaire et travaille donc à son propre évanouissement. La cinquième et dernière de ces remarques préliminaires détermine l’autorité comme un processus dialectique d’accompagnement et de limitation à la fois, nécessitant son déploiement dans la durée.
Puis vous en venez à votre thèse, qui est qu’il y a une érosion progressive (plutôt qu’une crise conjoncturelle) de l’autorité dans le monde contemporain, érosion que vous soumettez à trois types de lecture : sociologique, philosophique et anthropologique.
Selon la lecture sociologique (comme chez François Dubet et Marie Duru-Bellat), l’érosion de l’autorité est une conséquence de la perte de l’espoir socio-professionnel, espoir que l’institution scolaire contemporaine ne peut plus que décevoir, provoquant un désenchantement qui touche surtout les classes sociales les plus modestes, l’image même de l’adulte éducateur en étant fragilisée voire destituée. La solution ne peut plus alors être que d’ordre politique : la revitalisation d’une école républicaine plus juste car pourvoyant à l’égalité de tous.
Mais il y faut aussi une lecture philosophique, dites-vous (en référence notamment à Marcel Gauchet et Alain Renaut), selon laquelle l’érosion continue de l’autorité éducative est liée à l’irrésistible pénétration de l’idéal d’égalité au sein des espaces pré-politiques hiérarchisés ou, tout simplement, dissymétriques, ce qui clive l’école en deux camps qui s’affrontent : l’un qui en appelle à la sanctuarisation de l’école et l’autre qui se demande plutôt comment être hospitalier aux valeurs de liberté et d’égalité tout en conservant la dissymétrie symbolique nécessaire au processus éducatif, ce que nombre d’établissements scolaires actuels tentent de bricoler, tout comme les familles elles-mêmes, mais de façon malheureusement inégale culturellement.
Mais s’impose aussi une troisième et dernière lecture, anthropologique cette fois, qui insiste sur la présence, et même la prégnance du présent chez l’humanité contemporaine, le passé ayant perdu toute puissance de légitimation et l’avenir ayant été dépossédé des grandes espérances collectives – alors que le temps est l’étoffe même de l’autorité, insistez-vous en référence à Myriam Revault d’Allonnes -, ce qui empêche la transmission du monde symbolique lui-même.
Vous concluez alors en vous demandant : « Que faire ? » en l’absence de transcendance disponible, et en proposant trois directions : il y faut l’attitude individuelle d’un attachement ostensible du professeur aux grands principes éducatifs ; il y faut aussi un engagement collectif qui donne consistance institutionnelle au corps professoral ; et il y faut, enfin, une orientation politique qui crée des oasis de décélération qui soient propices à la longue durée que nécessite toute transmission sereine.