Dans le chapitre IV de L’Évolution créatrice, l’opinion de Bergson sur le cinéma en train de naître paraît tout à fait arrêtée : le cinéma est du côté de l’inessentiel. Non pas que Bergson ait voulu, dès 1907, débouter le 7e art de toute prétention artistique mais tout simplement parce qu’à ses yeux, seul le réel est le mouvement vrai, le mouvement originaire qu’aucune technique nouvelle, pas même le cinéma – qui n’est qu’un « mécanisme » – ne saurait imiter, traduire ou symboliser.
Pourtant Deleuze s’étonne d’un procès aussi expéditif. Comment un philosophe aussi sensible au mouvement, au changement, à la durée, a-t-il pu réduire le jeu des images cinématographiques à une simple mise en mouvement d’images fixes, en confondant l’image-cinéma et le cinématographe ? Et la chose est d’autant plus incompréhensible ou paradoxale qu’en 1896, l’on trouve dans le premier chapitre de Matière et mémoire, une étonnante théorie du dynamisme intrinsèque des images qui aurait pu parfaitement fonder, en tout cas d’après Deleuze, une philosophie du cinéma.
Alain PANERO
Bibliographie :
Henri Bergson, L’Évolution créatrice, PUF, « Quadrige », éd. critique d’Arnaud François, 2013.
Henri Bergson, Le Rire, PUF, « Quadrige », éd. critique de Guillaume Sibertin-Blanc, 2012.
Arnaud Bouaniche, Gilles Deleuze, une introduction, Pocket, coll. « Agora », 2010.
Gilles Deleuze, Cinéma 1 et 2, Les éditions de minuit, coll. « Critique », 1983 et 1985.
Paola Marrati, Cinéma et philosophie, PUF, coll. « Philosophies », 2003.
Alain Panero, Commentaire des Essais et Conférences de Bergson, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », Paris, 2003.
Camille Riquier (dir), Bergson, éd. du Cerf, coll. « Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie », 2012.
Jean-Louis Vieillard-Baron, Le secret de Bergson, Éditions du Félin, coll. « Félin poche », 2013.