Éthique reconstructive et responsabilité politique – synthèse

Jean-Marc FERRY, 27 mars 2009

Merci, monsieur Ferry, pour votre propos à la fois savant et militant.

Vous tenez d’emblée à justifier le concept d’« éthique reconstructive » en référence à l’éthique de la responsabilité, qui, pour ne pas être immorale, doit être fondée sur des principes réflexifs qui permettent d’instaurer un consensus public relatifs aux normes sur fond de dissensus à propos des valeurs, ce qui fait de la conviction elle-même un principe méta-éthique. Ces principes libéraux de justice politique sont plus susceptibles d’organiser la délibération sur de grands problèmes de société délicats, qui divisent (comme l’avortement ou encore la peine de mort), que de les traiter politiquement de façon normative.

Cela est propre à la formation d’une démocratie délibérative, qui permet, elle-même, la formation d’une opinion raisonnée et non pas seulement l’expression d’une opinion spontanée, et ce par un auto-décentrement qui nécessite une attitude reconstructive et pas seulement argumentative, c’est-à-dire le recours à des récits de vie qui permettent la reconstitution partagée du drame qui a fait souffrir l’autre d’une violence de notre fait – et inversement –, en vue d’une réconciliation fondée sur la reconnaissance réciproque. Cela nécessite la distinction et l’articulation des registres de discours narratif, interprétatif, argumentatif, et, enfin, reconstructif, dernier registre qui intègre les vertus des trois précédents mais aussi en dépasse les limites et pathologies, notamment celles d’une argumentation qui s’en tiendrait à la seule teneur des arguments, alors que c’est la force de l’engagement personnel de celui et de ceux qui argumentent qui emporte l’adhésion. Une telle éthique de la reconstruction conjoint ainsi les deux pôles de l’amour et du droit, dites-vous en référence à Hegel.

Vous passez alors de l’éthique à la politique, internationale essentiellement, c’est-à-dire là où règne la plus grande brutalité, qui a produit de tels passifs entre les États-nations et les civilisations, notamment, que la seule argumentation d’un droit international procédural visant à l’entente ne saurait suffire à remédier aux injustices commises, même si la perte du sens du droit serait une grande catastrophe historique, qui a cependant déjà été malheureusement surpassée par le déferlement de la haine nazie engendrant le mal politique absolu.

Que peut alors l’éthique, demandez-vous gravement, dans le contexte historique d’une telle horreur ? Ne faut-il pas commencer par thématiser les fautes passées pour passer d’une identité nationale (par exemple) dogmatique et donc narcissique à une identité critique et auto-critique car réflexive ? Cela seul serait, en effet, susceptible de reconstruire une véritable histoire commune, comme entre la France et l’Allemagne notamment, ce qui est si gros de conséquence pour la construction de l’Europe à venir, qui nécessite des mémoires partagées et non seulement parallèles.

Joël GAUBERT